Anvers : Gluck Iphigénie en Tauride 25.X.2024

Une réussite si ce n'est la mise en scène !

Opéra ballet d'Anvers le samedi 25 octobre 2024 (première) 

Christoph Willibald Gluck (1714-1787) : Iphigénie en Tauride, tragédie lyrique en quatre actes sur un livret de Nicolas-François Guillard, représentée pour la première fois à l'Académie royale de musique (Paris) le 18 mai 1779.

Direction musicale : Benjamin Bayl

Choeur et orchestre symphonique de l'opéra ballet de Flandre

Mise en scène, Costumes : Rafael R. Villalobos

Décors : Emanuele Sinisi

Lumières : Felipe Ramos

          Transposition contemporaine du drame mythologique grec avec des moyens qui semblent d’emblée bien limités. Quelques marches en guise de sièges d’une salle de théâtre. Le public affublé de vêtements de ville assiste à la représentation théâtrale (en néerlandais) d’une tragédie grecque mettant en scène Agamemnon et une Clytemnestre particulièrement révulsée. Une scène rageuse, conflictuelle, à laquelle assistent leurs enfants traumatisés. C’est la fin du spectacle et le public applaudit avec ferveur lorsque soudain une violente explosion retentit. Le plafond s’écroule, la foule en panique et ensanglantée tente de fuir, mais les assaillants font irruption, massacrent et nous assistons même à deux viols perpétrés par Thoas. 

C’est la guerre (certainement une référence au début du conflit russo-ukrainien, lorsqu’une bombe russe était tombée sur le théâtre de Marioupol). Même si le lien reste bien ténu entre le drame d’Iphigénie et la guerre russo-ukrainienne, nous supposons que ce sont ces atrocités qui éveillent les souvenirs traumatiques d’Iphigénie. On imagine aussi que les ‘terroristes’ veulent la contraindre à exécuter Oreste ou Pylade sans qu’elle sache que l’un d’entre eux n’est autre que son frère. 

          Le concept et la transposition du metteur en scène Rafael R. Villalobos ne tiennent que de façon fragile et le manque de cohérence entre les deux drames peine à nous convaincre. De plus, pour marquer le caractère gore et macabre, avions-nous besoin de l’apparition de la famille Adams (acteurs de la pièce de théâtre)? 

La seule force de ce spectacle, en carence sévère d’originalité (la sempiternelle mise en abîme du théâtre dans le théâtre, les sempiternels vêtements militaires et surtout l’utilisation, un peu facile, du conflit russo-ukrainien), réside dans le fait d’avoir réussi à rendre concret le traumatisme prégnant d’Iphigénie par le biais de la pièce de théâtre. En effet, le spectateur peut ainsi prendre la mesure des faits meurtriers passés et du traumatisme qui accable Iphigénie. 

          Michèle Losier en grande tragédienne parvient à donner corps à la douleur d’une Iphigénie rongée par les tourments. Elle investit de son timbre corsé et dramatique un texte, malheureusement pas toujours compréhensible, qu’elle module de pianissimi sensibles à la voix quasi blanche dans les moments émotionnels.

Reinoud Van Mechelen nous touche particulièrement dans son air déchirant ‘Unis dès la plus tendre enfance’. Le crémeux de son timbre et son expressivité font des merveilles.  

Le baryton-basse de Kartal Karagedik impressionne et marque véritablement la soirée. Sa voix percutante et le mordant de son expressivité nous saisit notamment dans l’air ‘Dieux ! Qui me poursuivez, dieux ! Auteurs de mes crimes’.

          Enfin, nous avons pu apprécier les qualités de la voix solide de Wolfgang Stefan Schwaiger dans le rôle de Thoas. Quant aux autres rôles, ils finissent de compléter une distribution exemplaire qui vient s’ajouter aux interventions puissantes du chœur de l’opéra ballet de Flandre en grande forme. Enfin, l’orchestre, sous la direction tonique du chef Benjamin Bayl a su magnifier le chef-d'oeuvre de Gluck. Dommage que la mise en scène ne nous ait pas vraiment convaincus car nous tenions là une Iphigénie en Tauride de haut vol. 

                                                                                          Ruggero Meli

Photos Annemie Augustijns
Iphigénie : Michèle Losier, mezzo-soprano
Oreste : Reinoud Van Mechelen, ténor
Pylade : Kartal Karagedik, baryton-basse
une scène du spectacle