Leeds, Opera North, mercredi 22 octobre 2025 à 18h30.
Haendel : Susanna, oratorio en trois actes, HWV 66, sur un livret d'abord attribué à Newburgh Hamilton mais apparemment écrit par le poète et dramaturge Moses Mendes (mort en 1758). Date de création : 1749*
Susanna : Anna Dennis, soprano
Joacim (son mari) : James Hall, contre-ténor
Chelsias (le père de Susanna) : Matthew Brook, baryton-basse
Premier vieillard : Colin Judson, ténor
Deuxième vieillard : Karl Huml, baryton-basse
Daniel : Claire Lees, soprano
Servante : Amy Freston, soprano
Juge : Dean Robinson, baryton
Chœur et orchestre de l'Opera North
Phoenix Dance Theatre (9 danseurs)
actrice : Tianah Hodding
Direction musicale : Johanna Soller
Mise en scène : Olivia Fuchs
Chorégraphie : Marcus Jarrell Willis
Décors et costumes : Zahra Mansouri
Lumières : Jake Wiltshire
*Distribution à la création en 1749 :
Susanna : Giulia Frasi, soprano. Joacim : Caterina Galli, contralto. Chelsias : Thomas Reinhold, basse. Daniel : anonyme, garçon soprano. 1er vieillard : Thomas Lowe, ténor. Deuxième vieillard : Thomas Reinhold, basse. Juge : ?, basse. Une servante :Signora Sibilla(Pinto née Gronamann), soprano.
SYNOPSIS:
L'intrigue se fonde sur l'histoire de la chaste Suzanne, telle que rapportée dans le chapitre 13 du Livre de Daniel dans l'Ancien Testament. Haendel composa la musique pendant l'été 1748 et la première eut lieu pendant la saison suivante du théâtre de Covent Garden, le 10 février 1749.
Selon le Livre de Daniel, pendant l'exil des Juifs à Babylone, une jeune femme vertueuse du nom de Suzanne fut accusée d'adultère de façon mensongère par deux vieillards de sa communauté qui étaient juges et qui l'avaient eux-mêmes regardée avec concupiscence pendant son bain et s'étaient faits éconduire. Le prophète Daniel confondit leurs mensonges et ainsi innocenta Suzanne.
Acte 1
Le chœur des Israélites se lamente sur leur exil et leur captivité à Babylone. Susanna et son mari chantent le bonheur de leur mariage et du père de Susanna, très fier que sa fille soit une épouse modèle. Joacim doit s'absenter quelque temps de la ville : mari et femme se disent adieu. Les vieillards de la communauté des Israélites, animés de concupiscence à l'égard de la belle Susanna, complotent pour obtenir ses faveurs pendant l'absence de son mari. Le chœur commente qu'une telle duplicité va attirer sur eux le courroux du ciel.
Acte 2
Joacim, loin de son épouse, chante le manque de sa présence auprès de lui. Pendant ce temps, son mari manque aussi à Susanna qui souffre de la chaleur et part se rafraîchir de l'ardeur du soleil en allant se baigner dans un ruisseau de son jardin. Elle est épiée par les deux vieillards dont elle repousse les avances avec indignation. Ils vont se venger d'elle en répandant parmi la communauté des juifs une calomnie ; ils prétendent qu'ils auraient surpris Susanna en train de tromper son mari avec un jeune homme et appellent à la juger pour adultère. Joacim est effondré en l'apprenant par une lettre et retourne chez lui.
Acte 3
Susanna est jugée coupable et condamnée à mort. Le premier vieillard se prétend désolé de la dureté de cette sentence. Le jeune prophète Daniel, qui est encore presque un enfant, se lève devant l'assistance et demande qu'on lui permette d'interroger les deux vieillards séparément l'un de l'autre. Ceux-ci donnent des versions différentes de l'endroit où Susanna aurait été prise en faute et Daniel les dénonce en tant que menteurs. Les vieillards sont condamnés à être exécutés pour leur faux témoignage ; Susanna peut se retrouver avec son mari et tous louent Susanna pour sa vertu et sa chasteté.
Une scénographie minimaliste, presque ascétique
Créé à Londres en 1749, Susanna occupe une place singulière dans l'œuvre de Haendel : oratorio dramatique sur fond de chasteté bafouée et de justice divine, il déploie une tension psychologique rarement égalée dans le corpus du compositeur.
À l’Opera North, l'ouvrage s’offre cette saison une nouvelle vie scénique sous la mise en scène d’Olivia Fuchs, qui en signe une lecture globalement lisible mais singulièrement prudente. Dans un décor unique — une structure métallique évoquant un balcon surmontant la scène, flanquée d’escaliers et comme dévoré par les racines d’un arbre stylisé —, l’espace reste nu, presque austère. Quelques panneaux translucides déplacés à vue suggèrent tour à tour un jardin, une maison ou un point d’eau, matérialisé par une baignoire où Susanna viendra se baigner. Les costumes contemporains achèvent de situer l’action dans une temporalité vague, tandis qu’un modeste clavier électronique en guise d'orgue souligne la modestie d’un budget visiblement contraint.
Seule la robe diaphane de Susanna, blanche et dégradée de vert pastel, séduit par la légèreté de ses voiles et son élégance. D’autres choix visuels, en revanche — tel le costume pseudo-inca du prophète Daniel — laissent perplexe.
Un ballet omniprésent
Les interventions du Phoenix Dance Theatre, compagnie invitée pour cette production, apportent d’abord un contrepoint expressif, mais leur omniprésence finit par saturer la scène. Ces neuf danseurs, toujours en mouvement, détournent parfois l’attention du drame, donnant le sentiment d’un comblement du vide plus que d’un enrichissement du propos.
La présence d’une narratrice pour mal entendants, Tianah Hodding, censée rendre le récit plus accessible, interroge également : ajout pédagogique ou effet de mise en scène ? Il est vrai que le livret de Susanna, peu propice à l’action, se prête mal à la transposition théâtrale — rappelons que Haendel n’avait pas destiné l’œuvre à la scène.
Quelques éclairs d'inspiration
Malgré une direction scénique sans éclat, quelques images marquent les esprits. Lorsque les membres du chœur, dans le rôle du peuple accusateur, souillent la robe immaculée de Susanna de leurs mains enduites de suie noire, la métaphore du péché collectif prend une force inattendue. De même, lors du bain, les confettis noirs jetés sur la jeune femme par le ténor Colin Judson incarnent visuellement la souillure et la violence du désir coupable.
La dernière scène, plus subtile, montre Susanna rejetant d’abord l’étreinte de Joacim avant de retrouver, non sans amertume, un fragile équilibre. Un geste scénique fort, tout comme le traitement de l’air « Guilt trembling », où l’héroïne reprend le pouvoir, ridiculisant ses deux agresseurs — non sans une touche d’humour vengeur (coup dans les parties pour l'un, pantalon baissé pour l'autre). Le final, baigné de confettis blancs et de danses jubilatoires, referme le spectacle sur une image de rédemption et de légèreté du plus bel effet.
Une direction appliquée, un plateau solide
À la tête de l’orchestre d’Opera North, Johanna Soller dirige avec rigueur mais sans grand souffle dramatique. Le continuo, un peu sec et mécanique, manque de respiration. Les da capo abrégés (de nombreuses coupes) ramènent la durée à environ 2h10, mais au prix d’un certain appauvrissement expressif.
Le chœur, généreux et sonore, pèche parfois par excès de volume et de rudesse : la ferveur ne remplace pas la précision.
La distribution, elle, convainc par son homogénéité. Anna Dennis, déjà entendue dans ce rôle à Londres en version de concert, incarne une Susanna à la fois fragile et digne. Timbre clair, diction exemplaire, ligne élégante — un modèle d’équilibre entre émotion et retenue. Seulement, elle atteint ses limites dans l'air virtuose « Guilt trembling ». James Hall (Joacim) offre un contre-ténor lumineux, souple et parfaitement assorti à celui de sa partenaire : ses vocalises fluides et son aisance séduisent à chaque apparition. Matthew Brook, baryton-basse solide, prête à Chelsias une autorité tendre et un chant plein d’élan, notamment dans son air à la trompette ‘Raise your voice’. Les deux vieillards libidineux, Colin Judson et Karl Huml, manquent d'uniformité et de raffinement vocal, mais assurent leur rôle dramatique avec crédibilité. Claire Lees (Daniel) se distingue par un timbre clair et un phrasé délicat, particulièrement touchant dans l'air ’Chastity, thou Cherub bright'.
Une soirée engageante mais sans audace
Cette Susanna de Leeds ne déçoit pas — elle se suit sans ennui et avec un réel plaisir musical — mais elle ne surprend guère. La mise en scène reste prudente, la direction appliquée, l’ensemble un peu trop « bien comme il faut ». On aurait aimé plus d’audace, plus de chair, plus de théâtre dans cette œuvre qui, sous ses airs d’oratorio, cache l’un des portraits féminins les plus bouleversants et actuels de Haendel.
Ruggero Meli