Londres, St. Martin-in-the-fields vendredi 24 octobre 2025 à 18h30
Georg Friedrich Haendel : Rinaldo, opéra en trois actes sur un livret de Aaron Hill & Giacomo Rossi. Créé au Haymarket de Londres le 24 février 1711.
Rinaldo : Aryeh Nussbaum Cohen, contre-ténor
Almirena : Mary Bevan, soprano
Goffredo : Paula Murrihy, mezzo-soprano
Eustazio : Alexander Chance, contre-ténor
Argante : Ashley Riches, baryton-basse
Armida : Rachael Wilson, soprano
Araldo/Donna/Magician : Andy Shen Liu,
The English Concert
Harry Bicket conductor
Mais où est donc passé le légendaire flegme anglais ? Dès les premières mesures de l'ouverture, les English Concert sonnent méconnaissables — survoltés, galvanisés sans doute par l’énergie d’un dernier concert au terme d’une longue tournée asiatique. De retour sur leurs terres, les musiciens déploient une vigueur communicative sous la direction de leur chef Harry Bicket aussi détendu que pétillant. Les airs guerriers éclatent de vaillance et de panache, tandis que les pages plus tendres respirent une délicatesse toute britannique, jamais mièvre.
Le plateau vocal rassemblait une distribution de haute volée, familière du style haendélien. En tête, le contre-ténor américain Aryeh Nussbaum Cohen, dont la carrière s’impose avec éclat. Sa voix puissante, d’une clarté exemplaire, confère au héros un relief dramatique indéniable. On y goûte des couleurs franches, parfois des audaces inattendues, mais aussi quelques surprenantes raucités. Fascinant par ses moyens, Cohen ne rivalise pas encore avec la finesse d’un Carlo Vistoli ou d’un Christopher Lowrey, mais son Rinaldo a l’étoffe d’un vrai héros.
Mary Bevan, qu’on attendait en perfide Armida — souvenir marquant de sa Melissa d’Amadigi — troquait ici la méchante contre la vertueuse Almirena. Et quelle Almirena ! Loin de la traditionnelle oie blanche, elle impose une jeune femme au caractère bien trempé, portée par un timbre centré, au médium richement coloré. Dans le célèbre 'Lascia ch’io pianga', la soprano trouve un équilibre idéal entre fragilité et noblesse, sans pathos.
L’Armida de la soirée, elle, n’avait rien d’une séductrice de pacotille. Rachael Wilson, voix de feu qu’on se souvient avoir admirée dans Juditha Triumphans à Stuttgart, s’impose avec une présence quasi démoniaque. Soprano — ou mezzo tant ses graves s’assombrissent avec autorité — elle irradie la scène d’une intensité rare. Ses interventions, foudroyantes, font d’elle une Armida inoubliable, d’une rage et d’un magnétisme peu communs.
Face à elle, Ashley Riches (Argante) fait bonne figure. Le baryton-basse, d’une prestance naturelle, impose sa vaillance dès son air d’entrée 'Sibillar gli angui d’Aletto', mené avec une articulation exemplaire et un panache certain. Le reste de son parcours ne dément pas cette autorité tranquille.
Dans les rôles secondaires, Alexander Chance campe un Eustazio d’une limpidité idéale, au timbre frais et lumineux. Paula Murrihy, en Goffredo, séduit par une noblesse de ton et une diction raffinée, même si l’option d’une voix féminine dans ce rôle continue de diviser. Enfin, le contre-ténor Andy Shen Liu a su marquer les esprits par la netteté de son émission et son aisance scénique.
Ce Rinaldo triomphal — capté par les caméras des English Concert — s’inscrit dans la vaste entreprise du collectif : enregistrer chacune de leurs productions haendéliennes pour la plateforme Handel for All, véritable vidéothèque en devenir du répertoire.
On murmure déjà que Hercules sera la prochaine œuvre au programme. On s’en réjouit d’avance.
Ruggero Meli