Genève, Bâtiment des Forces Motrices 12 octobre 2025 17h
Antonio Vivaldi : FARNACE, dramma per musica en trois actes sur un livret d’Antonio Maria Luchini. Créé à Venise (Teatro Sant’Angelo) le 10 février 1727. Version de 1731 de Pavia.
Farnace : Emiliano Gonzalez Toro, ténor
Gilade : Key’mon W. Murrah, contre-ténor
Tamiri : Deniz Uzun, mezzo-soprano
Berenice : Adèle Charvet, mezzo-soprano
Pompeo : Juan Sancho, ténor
Selinda : Séraphine Cotrez, mezzo-soprano
Aquilio : Alvaro Zambrano, ténor
Figurants : Mathilde Étienne, Michaël Pallandre (gardes / soldats / esclaves), Marie Bird (un enfant de Tamiri)
Mise en espace : Mathilde Étienne
Ensemble I Gemelli
Direction musicale : Emiliano Gonzalez Toro
Rarement l’opéra Farnace de Vivaldi aura trouvé une telle intensité dramatique. Dans la salle du Bâtiment des Forces Motrices, Emiliano Gonzalez Toro et son ensemble I Gemelli ont offert une version à la fois épurée et brûlante, où chaque air semblait naître dans l’urgence du drame. Œuvre de vengeance, de pouvoir et de pardon, Farnace se déploie ici en trois heures d’une tension continue, magnifiées par la direction nerveuse et chantante du ténor chilien, également à la baguette.
Une version inédite
Créé à l’origine pour castrat, le rôle-titre trouve ici une nouvelle incarnation dans une version pour ténor (Pavia 1731) — un pari audacieux, mais d’une remarquable cohérence. Gonzalez Toro, à la fois chef et interprète, en fait un héros d’une humanité bouleversante. Dans le célèbre « Gelido in ogni vena », son timbre de baryténor solaire et souple éclaire la douleur du père et du roi. L’émotion affleure sans pathos, dans une ligne admirablement soutenue.
Une distribution homogène
Face à lui, Deniz Uzun impose une Tamiri incandescente. Sa voix, large et charnelle, passe du mezzo au soprano avec une aisance stupéfiante ; son tempérament dramatique enflamme chaque réplique. Adèle Charvet, en Berenice, compose une souveraine d’une véhémence jouissive. Plus assurée ici qu’à Strasbourg dans Ariodante, elle fait de chaque air un acte de domination, jusqu’à un dernier désarmement où l’émotion finit par fissurer la rage. La jeune Séraphine Cotrez (Selinda) séduit par la sombre élégance de son timbre et une autorité scénique déjà affirmée : ses jeux de manipulation et de séduction font mouche. Juan Sancho campe un Pompeo solide et vaillant, d’une belle présence, malgré quelques aigus un peu forcés. Quant au contre-ténor Key’mon W. Murrah, il s’impose comme la révélation de la soirée : timbre d’une profondeur inhabituelle, à la croisée du contralto et du sopraniste, et musicalité envoûtante. Chaque intervention déclenche un frisson. Enfin Alvaro Zambrano (Aquilio) complète idéalement la distribution, avec une émission claire et de séduisantes envolées.
Sobriété et tension dramatique
La mise en espace de Mathilde Étienne, simple et lisible, concentre l’action au centre du plateau ; l’orchestre, disposé en arc sur le côté, devient le cœur battant du drame. Costumes sobres, gestes précis, et un équilibre subtil entre abstraction et incarnation : tout concourt à mettre la musique au premier plan. Le dénouement — où Berenice dépose les armes devant l’enfant de Farnace — aurait pu prêter à sourire ; il touche pourtant par sa sincérité. La tendresse l’emporte sur la vengeance.
Un projet appelé à rayonner
On nous annonce un enregistrement discographique et une tournée prochaine de ce Farnace : excellente nouvelle, tant ce spectacle allie rigueur stylistique et intensité théâtrale. Une soirée d’une énergie rare, où Vivaldi s’impose à nouveau comme un maître du drame psychologique.
Ruggero Meli