Londres, English National Opera, jeudi 20.XI.2025
Georg Friedrich HANDEL — PARTENOPE, opéra en trois actes.
Livret : Silvio Stampiglia
Londres, Coliseum de l’English National Opera, du 20 novembre au 6 décembre 2025
PARTENOPE : Nardus Williams — soprano
ARSACE : Hugh Cutting — contre-ténor
ROSMIRA / EURIMENE : Katie Bray — mezzo-soprano
ARMINDO : Jake Ingbar — contre-ténor
EMILIO : Ru Charlesworth — ténor
ORMONTE : William Thomas — basse
Orchestre de l’English National Opera
Chef d’orchestre : Christian Curnyn (Acte I), William Cole (Actes II & III)
Metteur en scène : Christopher Alden
Décors : Andrew Lieberman
Costumes : Jon Morrell
Lumières : Adam Silverman
Une production séduisante et vive, malgré une émotion diffuse
Longtemps relégué aux marges du répertoire haendélien, Partenope demeure un opéra que chefs, maisons et metteurs en scène abordent avec une prudence compréhensible. On le donne rarement, on le voit encore moins. La faute, sans doute, à un livret aussi mince que tarabiscoté – une succession d’amours contrariées où Partenope aime Arsace, qui l’aime aussi mais hésite avec Rosmira, tandis qu’Armindo soupire en silence avant de remporter la mise. Si la dramaturgie peine à convaincre, la partition, elle, n’a jamais cessé d’intriguer : elle regorge d’arias étincelants, d’ensembles surprenants, et d’un éventail vocal qui embrasse quasiment toutes les tessitures. Haendel y déploie une fantaisie musicale souvent sous-estimée, qui mérite pleinement d'être redécouverte.
Une scénographie follement libre
À l’English National Opera, Christopher Alden situe l’action dans les années 1920, en plein après-guerre : une société mondaine papillonne entre cocktails, bridge et vanité chic, tandis que l’on clame comme un mantra le « Voglio amare fin ch’io morrà ». Les traumatismes de la Grande Guerre, eux, affleurent sans cesse : masques à gaz, casques, silhouettes armées… autant de rappels d’une époque qui panse difficilement ses plaies. Le spectacle puise dans l’imaginaire photographique, le cinéma muet, l’abstraction picturale (que les personnages admirent parfois plus par snobisme que par conviction), et aussi la danse : charleston effréné, numéro de claquettes, chorégraphies qui donnent envie de battre la mesure depuis son fauteuil. Cette luxuriance visuelle, loin d'être décorative, soutient habilement la dynamique des scènes. L’insouciance règne, portée par une énergie scénique communicative.
Un humour ravageur mais pas du goût de tous
L’humour affleure partout, parfois avec finesse — la jalousie volcanique de Partenope —, parfois de manière plus discutable : tirades en anglais du type « bastard » ou « fuck you », un soutien-gorge brandi en gag, Arsace découvert dans les cabinets sous un amas de papier toilette… des écarts dont chacun jugera le goût. Certains y verront un charmant décalage, d’autres un manque de tension dramatique ou d’émotion véritable. Le public, conquis par cette douce folie scénique, rit volontiers, d’autant que l’œuvre est interprétée en anglais pour une compréhension immédiate.
Jeux d’identités et brouillages de genre
Alden joue également sur un mélange des genres permanent, au cœur même du livret. Masques, travestissements, glissements identitaires : Partenope apparaît en homme, costume queue-de-pie et haut-de-forme ; Ormonte, baryton-basse à la voix caverneuse, adopte des manières de dandy drôlement précieuses ; Rosmira passe la quasi-totalité de l’action déguisée en Eurimene ; et deux contre-ténors (Arsace et Armindo) complètent un tableau où les frontières sexuelles se brouillent avec jubilation. Ce jeu constant sur l'androgynie donne à l'ensemble une modernité inattendue, presque conceptuelle qui pourrait embarasser voire déranger certains.
Un décor fatigué, des costumes toujours éclatants
Le décor accuse toutefois le poids des années : l’escalier vrillé, superbe au Teatro Real en 2011, apparaît ici rapiécé, fragilisé. Les costumes, eux, conservent leur charme et leur éclat cabaret : paillettes argentées pour Partenope, vert profond pour Rosmira…
Une double direction
Christian Curnyn offre en fosse un écrin soigné, précis, élégant — sans étincelle particulière. Fait exceptionnel : souffrant, le maestro quitte la fosse après le premier acte et laisse la direction à son assistant William Cole. La transition, presque imperceptible, n’a entraîné aucun dommage. Une transition aussi discrète que professionnelle.
Une distribution solide et souvent enthousiasmante
Difficile de rivaliser avec les distributions prestigieuses qui ont alterné au fil des reprises (voir tableau ci-dessous), mais l’équipe réunie pour cette première valait assurément le déplacement. Pour des raisons pratiques, les airs mentionnés ci-dessous sont cités en italien, bien qu’interprétés ici en anglais.
Nardus Williams incarne une Partenope élégante, racée, bien chantante. Elle séduit autant dans les passages virtuoses que dans les airs introspectifs. Nous tenons là une diva dotée de moyens très intéressants mais qu’elle n’exploite pas encore pleinement : elle pourrait aisément aller plus loin dans l’audace expressive. Ses excès colériques envers Arsace et faussement tendres envers Armindo dans un même air « Spera e godi », sont un régal, tout comme son « Qual farfaletta », tendre à souhait ou encore sa véritable déclaration d'amour « Io ti levo l'impero dell'armi ».
Le ténor Ru Charlesworth en dandy efféminé et facétieux, affole le public par ses vocalises acérées, ses chorégraphies déjantées… il fait le show du début à la fin notamment dans « La gloria in nobil alma » ou lorsqu'il se plaint de son sort « Barbaro fato, sì », enfermé dans les toilettes et qu'il tente d'en sortir par la lucarne qui se trouve au dessus de la porte. Bref, son Emilio pétille de malice et de vitalité.
Hugh Cutting prête à Arsace une tendresse ravageuse et une virtuosité souple. Son « Sento amor » respire une délicatesse touchante, tandis que « Ch’io parta » touche profondément et avec sincérité. Ses vocalises fusent dans un « Furibondo » débridé et l'interprète s'autorise même de barytonner de rage.
Katie Bray qui joue le rôle de Rosmira déguisée en Eurimene séduit par le grain chaleureux de son mezzo et par une ligne soignée. Le volume manque parfois, mais la musicienne reste engagée et trouve l'énergie nécessaire pour affronter le redoutable 'Furie dell'alma mia'. Dans l'air « Un’altra volta ancora », elle contourne prudemment les vocalises meurtrières du da capo en les remplaçant par une tenue longue.
L'Armindo de Jake Ingbar, voix montante déjà remarquée ces derniers mois amuse par sa maladresse feinte et ses glissades dans l’escalier. Son « Voglio dire al mio tesoro » déclenche les rires, et son numéro de claquettes dans « Nobil core », roue finale comprise, finit de conquérir la salle.
Un seul air, « T’appresta forse Amore », suffit à imposer l'Ormonte de William Thomas : timbre somptueux, vocalises d’une facilité insolente, cadence finale impressionnante. On en voudrait davantage. Son défilé irrésistible et décalé en robe baroque a fait grand effet.
Une production séduisante, vive mais en quête d'émotion
Malgré un livret qui peine à susciter un véritable engagement dramatique, la production d’Alden maintient un intérêt constant, une vitalité rare et une cohérence visuelle solide. Elle amuse, elle divertit, elle brille, même si elle émeut peu. On ressort ravi par l'énergie du spectacle et légèrement frustré par le manque de profondeur. Certains se laisseront porter par cette légère ivresse, d’autres resteront à distance. Une chose est sûre : rarement Partenope aura bénéficié d’une telle énergie.
Ruggero Meli