Versailles, Opéra Royal, dimanche 7 décembre 2025, 15h
Ariodante de Georg Friedrich Haendel
Dramma per musica en trois actes. Livret d’après Ginevra, Principessa di Scozia d’Antonio Salvi. Créé le 8 janvier 1735 au Royal Theatre, Covent Garden, à Londres.
Nouvelle production de l'Opéra de Versailles.
Le Roi d’Écosse : Nicolas Brooymans, baryton-basse
Ginevra : Catherine Trottmann, soprano
Ariodante : Franco Fagioli, contre-ténor
Lurcanio : Nicholas Scott, ténor (chante dans la fosse). Laurence Kilsby, ténor (joue sur scène)
Dalinda : Gwendoline Blondeel, soprano
Polinesso : Théo Imart, contre-ténor
Odoardo : Antoine Ageorges, ténor
Orchestre de l’Opéra Royal
Stefan Plewniak, direction
Nicolas Briançon assisté d’Elena Terenteva - Mise en scène
Pierre-François Dollé - Chorégraphie
Antoine Fontaine - Décors
David Belugou - Costumes
Jean-Pascal Pracht - Lumières
Albert Goldberg assisté d’Adrien Garcia - Chorégraphe des combats
Laurence Couture - Maquillages et coiffures
Une féerie baroque
Pour son Ariodante, Nicolas Briançon fait le pari d’un baroque recréé, comme tiré tout droit du film Farinelli, mais sans l’exubérance de plumes que l’on aurait pu attendre. L’idée : replacer Franco Fagioli au cœur d’un univers conçu pour magnifier la figure du « castrat ». Décors en carton-pâte aux perspectives soignées, atmosphères pastorales, salons XVIIIe opulents, jardins où l’on joue à cache-cache sous l’œil de papillons apprivoisés : la scénographie assume une naïveté charmante, fidèle au livret et pensée pour émerveiller, avec çà et là une mièvrerie assumée, presque séduisante dans son innocence. Les amateurs de ce théâtre « à l’ancienne » se délecteront de ces tableaux parfaitement léchés ; les autres regretteront un manque d’idées dramaturgiques, de lecture psychologique, ou tout simplement d’imprévu. La féerie tourne parfois à la joliesse, là où l’on aurait souhaité un souffle dramaturgique plus audacieux.
Les ballets : des éclats de grâce
Heureusement, les nombreux ballets, rarement donnés dans leur intégralité, apportent un souffle irrésistible. Les danses paysannes qui clôturent le premier acte sont un régal : costumes chatoyants, gestuelle stylisée, bleu pour ces messieurs, vert pour ces dames, sous un ciel orageux et menaçant. À l’inverse, le ballet des messieurs masqués au troisième acte — sorte de bandits des grands chemins — peine à convaincre : chorégraphie lente en décalage avec une musique déchaînée.
Certains changements de décors font l'admiration du public, notamment celui qui débute l'actes II, qui révèle un nocturne de ruines ciselé par une lune ronde et trompeuse : l'un des plus beaux effets scéniques de la soirée.
Franco Fagioli, splendeur fragile
Ariodante est un rôle que l'artiste habite depuis longtemps — Karlsruhe 2010 et 2011, tournée avec George Petrou en 2022. Il y resplendissait alors par une virtuosité souveraine.
La soirée versaillaise révèle un artiste toujours magnétique, mais dont la voix montre des signes d’usure. Dans Coll’ali di costanza, certaines vocalises flirtent avec la caricature ; certains aigus ont perdu de leur éclat, certains sons se ternissent et perdent leur noblesse. Par moments, Fagioli contourne la difficulté, effleure le parlé.
Mais dès qu’il entre dans la sphère élégiaque, le miracle demeure. Scherza infida devient un moment suspendu : souffle infini, ligne d’une délicatesse bouleversante, notes filées qui arrachent des larmes. Même ivresse dans Cieca notte, infidi sguardi, repris façon Farinelli avec une tenue de note vertigineuse. Showman et acteur-né, Fagioli déclenche un enthousiasme fracassant, malgré des fragilités désormais perceptibles.
Une distribution riche en tempéraments
Catherine Trottmann, une Ginevra solidement incarnée
La soprano française impose une Ginevra pleine de caractère. Timbre centré, projection franche : Trottmann évite toute mièvrerie dès Vezzi, lusinghe. Dans Volate amori, les vocalises sont toniques et la cadence spectaculaire, ponctuée de piqués suraigus. Il mio martoro révèle une tristesse mêlée à une rage contenue avec ses sons filés qui finissent dans les abimes de la mort sur des notes instrumentales à peine murmurées. Le duo Bramo aver mille vite se pare d’une longue cadence raffinée, où les deux amants rivalisent d’invention.
Gwendoline Blondeel, une Dalinda fraîche et délicate
Voix claire, ligne élégante, fraîcheur idéale : la Dalinda de Blondeel charme instantanément. On aurait cependant souhaité davantage de fioritures. L'air Neghittosi, au troisième acte, interroge : air de folie, volonté d’enlaidir le timbre ou geste dramaturgique trop appuyé ? Le résultat demeure inabouti et dessert la chanteuse.
Nicholas Scott, remarquable Lurcanio de secours
Laurence Kilsby, souffrant, joue son rôle sur scène tandis que Nicholas Scott, depuis la fosse, assure la partie vocale — un remplacement de luxe. Timbre suave de baryténor, style impeccable : Del mio sol vezzosi rai touche par sa sensibilité, tandis que Tu vivi et Il tuo sangue affichent un panache irrésistible.
Nicolas Brooymans, noble Roi d’Écosse
La basse française apporte au monarque une stature profondément humaine. Timbre large, léger vibrato : Brooymans touche dans chacune de ses interventions. Invida sorte avara se distingue par une intensité contenue qui impose respect et compassion.
Théo Imart, Polinesso bien aimable
Le contre-ténor incarne un Polinesso presque sympathique. La clarté de l’aigu, belle en soi, manque cependant de la noirceur requise pour ce rôle de manipulateur. Une incarnation honnête, mais au profil vocal discuté.
Antoine Ageorges, Edoardo finement campé
Pour un rôle aussi bref, le ténor livre une prestation précise et appréciable.
Dans la fosse : Pleuvniak galvanise, parfois trop
Sous la direction énergique de Stefan Pleuvniak, l’orchestre se montre tonique, nerveux, parfois un peu brusque. Le continuo, galbé et sonore, habille les récitatifs avec relief. Attaques franches, crescendos vigoureux, timbales et ajouts festifs : la partition du Caro Sassone étincelle. Chose rare pour ne pas le signaler, le chef se prend à déclencher les applaudissements après presque chaque air.
Un voyage baroque d'une touchante légèreté
Ce spectacle baroque assume sans complexe la naïveté d’un conte d’hiver et plonge le spectateur dans l’univers idéalisé des castrats. On y goûte la magie d’un temps réinventé, et l’on se prend, comme Ariodante, à rêver d’épouser la princesse et de monter sur le trône d’Écosse. Pour ceux qui aiment la féerie baroque à l’ancienne, la soirée est un enchantement. Pour les autres, une parenthèse suspendue… dominée par un Franco Fagioli capable, malgré des fragilités désormais visibles, de mettre le public en état d’adoration.
Ruggero Meli
Quelques images du spectacle
c Edouard Brane
Franco Fagioli, Ariodante
Catherine Trottmann, Ginevra
Nicolas Brooymans, Roi d'Ecosse
Ariodante é Ginevra
Théo Imart, Polinesso & Gwendoline Blondeel, Dalinda
Franco Fagioli, Ariodante
Ballet des paysans
Ballet